Rapport de monitoring conjoint de la société civile burundaise sur les violations des droits humains pendant la période du référendum constitutionnel du 17 mai 2018 au Burundi

Le Burundi traverse une crise socio-politique profonde causée par la volonté de Pierre NKURUNZIZA de se maintenir au pouvoir en violation de la constitution du Burundi de 2005 et de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi. En effet, cet accord avait permis au pays de passer une décennie dans la stabilité avec la possibilité de vider les contentieux du passé et construire une paix et un développement durables.

  1. La remise en cause de l’Accord d’Arusha ne date pas de 2015. Depuis 2005, le pouvoir dirigé par le CNDD-FDD s’est mis progressivement à vider l’Accord d’Arusha de tout son contenu dans le but de  l’enterrer définitivement.  Comme le dit si bien Thierry Vircoulon : « On sait que depuis 2015 il n’y a plus de démocratie et de sécurité au Burundi. L’Accord d’Arusha est déjà mort, le référendum n’est que l’officialisation de son décès ». Ce référendum n’est que l’aboutissement d’un processus progressif de fermeture de l’espace démocratique.
  2. Depuis le déclenchement de la crise en avril 2015, la communauté internationale a pris de nombreuses initiatives pour ramener la paix au Burundi et protéger la population civile face à la répression du régime de Pierre Nkurunziza. Toutes les initiatives prises par les Nations Unies et l’Union Africaine se sont heurtées à une fin de non-recevoir du pouvoir de Pierre Nkurunziza, opposant chaque fois la souveraineté nationale pour donner la légitimité à toutes ses dérives. Pour saboter les négociations inclusives prônées par la communauté internationale sous l’égide de la Communauté est africaine, Pierre Nkurunziza a mis en place un processus interne de dialogue entièrement sous sa botte. C’est elle qui a « légitimé » les propositions d’amendement de la constitution visant à faire sauter les verrous sur la limite des mandats présidentiels de 5 ans chacun, à deux, et élaguer de la constitution toutes les dispositions à caractère consociatif issues de l’Accord d’Arusha.
  3. Une levée de bouclier générale est venue d’une partie importante de la communauté internationale pour fustiger la tenue de ce référendum. Ainsi, quelques jours avant le scrutin, le Président de la Commission de l’Union Africaine Moussa FAKI, à travers une correspondance au Médiateur dans le conflit burundais lui a demandé d’user de tous les moyens à sa disposition pour empêcher la tenue d’un référendum du 17 mai 2018. Selon cette correspondance, la révision unilatérale de la constitution va à l’encontre des recommandations en faveur du dialogue inclusif prônées par la région, l’Union Africaine et les Nations et recèle le potentiel d’entraîner de conséquences graves pour le Burundi et la région dans son ensemble. Le Président de la Commission de l’Union Africaine a interpellé le médiateur pour qu’il prenne ses responsabilités en tant que garant de l’accord d’Arusha.
  4. D’une même voix, l’ensemble des acteurs et des organismes de la communauté internationale ont fustigé la tenue de ce référendum et la révision unilatérale et inopportune de la Constitution. Il s’agit notamment des Nations Unies, de l’union Européenne, des Etats Unis d’Amérique et de la plupart des organisations non gouvernementales internationales de défense des droits humains. Tous ont décidé de ne pas envoyer d’observateurs.
  5. Pour les mêmes raisons, les organisations de la société civile burundaise ont pris la même résolution mais ont décidé de faire l’observation des entraves aux libertés et des violations des droits de l’homme au cours de ce processus.
  6. Les investigations menées montrent de nombreuses violations des droits et libertés des citoyens pendant la période du référendum électoral. Les membres de la Coalition « Amizero y’Abarundi », en ont été les principales victimes.
  7. Outre les atteintes aux libertés et à l’intégrité physique, le processus électoral lié au référendum a aussi entraîné des violations des droits socio-économiques par le biais des contributions forcées pour le référendum et les élections générales de 2020. Les droits sociaux des travailleurs, le droit syndical, le droit à des conditions de vie décente ont tous été mis à mal par cette décision gouvernementale illégale car n’étant pas autorisée par la loi des finances à travers une loi.
  8. Le climat de campagne a été marqué par différents discours d’intolérance et de haine dont les plus marquants ont été prononcés par le Président Pierre Nkurunziza lui-même. En effet, avant le lancement de la campagne, il avait fait un discours prémonitoire de ce qui allait se passer en avertissant que quiconque s’opposerait à son projet aurait un laisser-passer pour le ciel. D’autres cadres de son parti ont suivi son exemple. A l’instar de Melchiade Nzopfabarushe qui a dit que les opposants allaient être jetés dans le lac Tanganyika pour nourrir les poissons. Même s’il a été arrêté et condamné, certes pour une peine légère par rapport à la gravité de son délit, beaucoup ont continué à dire la même chose ou pire de façon plus sournoise.
  9. Pour éviter tout observateur indépendant, le gouvernement a pris la décision de suspendre les radios indépendantes qui couvraient encore le pays, à savoir la voix de l’Amérique (VOA) et la BBC qui ont des émissions en kirundi et qui seraient de plus en plus suivies depuis que les radios indépendantes ont toutes été brûlées et interdites. Cette décision a été prise deux semaines avant la tenue du référendum pour s’assurer que tout se ferait à huis clos, loin des regards indiscrets.
  10. Les organisations auteurs de ce rapport font habituellement des rapports périodiques, chacune sur sa thématique de prédilection, et il ne s’agit pas ici d’une somme de ces rapports qui sont par ailleurs régulièrement communiqués au public et consultables sur les sites web respectifs de ces organisations.
  11. Le rapport est le résultat d’un travail de monitoring fait en synergie qui vise essentiellement un double objectif. D’un côté, il s’agit de décrire, commenter et analyser les violations les plus saillantes documentées autour du référendum constitutionnel en tant qu’événement majeur spécifiquement contesté, organisé dans une situation de crise et qui va profondément toucher la vie socio-politique du pays. D’un autre côté, il s’agit de conjuguer les efforts et parler d’une voix unique afin que les organisations régionales, les Nations Unies et d’autres partenaires clés sachent qu’il ne faut pas attendre pour prendre les mesures qui s’imposent au Burundi avant qu’il ne soit trop tard.
  12. Les organisations auteurs de ce rapport constatent qu’au-delà des preuves qui sont déjà ostentatoires, le régime de Pierre NKURUNZIZA a déjà réuni toutes les conditions pour l’instauration d’un régime totalitaire avec des risques de perpétration de crimes massifs graves contre ceux qui sont considérés comme ses opposants. Les signes précurseurs sont déjà là. Il s’agit notamment de la création, l’entrainement militaire, l’armement, l’entretien, le soutien officiel d’une milice qui supplante actuellement toutes les institutions militaires, judiciaires et administratives du pays : la milice Imbonerakure. En outre, il y a les discours de haine distillés par les autorités du pays, le Président venant en tête, et comportant des appels publics au lynchage des opposants et à d’autres ennemis du pays ou à travers des messages sournoisement propagés. Aussi, une certaine déshumanisation des Tutsis est en cours, ils sont appelés des « MUJERI », c’est-à-dire « Malingres et méprisables chiens errants » sont d’autres signes qui ne trompent pas et qui constituent des signes précurseurs des risques de génocide dont tous les ingrédients ont été mis en place. Comme l’armée burundaise a été divisée, les militaires tutsi à la fois humiliés et persécutés, ne pourront pas être ce rempart voulu dans l’Accord d’Arusha pour protéger la minorité. La majeure partie de l’armée, censée être professionnelle et républicaine, regarde tétanisée les crimes commis par le régime y compris dans ses rangs.

Face à tout ce qui précède, les Organisations auteurs de ce rapport conjoint de monitoring formulent les recommandations ci-après :

Au Gouvernement du Burundi :

  1. Libérer tous les prisonniers politiques et d’opinion sans conditions ;
  2. Accepter de négocier sans préconditions avec les opposants politiques dans l’intérêt d’un avenir commun, partagé de tous les Burundais ;
  3. Cesser toutes les formes de persécution à l’encontre des opposants ou d’autres citoyens présumés comme tels ;
  4. Faire cesser les intimidations orchestrées par les Imbonerakure à l’endroit de la population partout dans le pays en général et dans les milieux scolaires et universitaires en particulier.

A la Communauté de l’Afrique de l’Est :

  1. Constater son incapacité à aider les Burundais à sortir de la crise actuelle et en appeler à l’Union Africaine et aux Nations Unies pour des efforts conjoints plus concrets et contraignants au régime de Bujumbura ;
  2. Prendre des mesures conséquentes pour cesser de soutenir un régime totalitaire, responsable de graves et massives violations des droits humains, et mettre la pression sur ce régime, notamment à travers un embargo économique ciblé pour qu’il accepte de participer à des négociations inclusives ;
  3. Respecter scrupuleusement les conventions internationales en matière d’accueil et de protection des réfugiés burundais se trouvant dans les différents pays de l’EAC ;

A l’Union Africaine et aux Nations Unies :

  1. Mettre en œuvre la responsabilité de protéger en faveur du peuple burundais victime de répression et d’atrocités de masse ;
  2. Instaurer un cadre permanent de monitoring des violations des droits humains sur le Burundi et soutenir tous les mécanismes internationaux mandatés à cet effet ;
  3. Soutenir la Cour Pénale Internationale dans son travail d’enquête et de poursuite des auteurs de crimes pour mettre fin à l’impunité au Burundi ;
  4. En collaboration avec les pays de l’EAC, prendre des sanctions économiques ainsi que des sanctions individuelles à l’endroit des autorités burundaises afin d’amener le régime à accepter de négocier sans condition préalable ;
  5. Procéder au retrait des éléments des forces de défense nationales burundaises (FDNB) de toutes les opérations de maintien de la paix (OMP) onusiennes et de l’Union africaine en l’absence de progrès du processus politique et dans le cas de la poursuite des graves violations des droits humains au Burundi ;

 Au Peuple Burundais :

  • Ne pas céder à la terreur érigée en mode de Gouvernement et continuer à témoigner et dénoncer par tous les moyens, les dérapages commis par le régime en place ;
  • Garder la cohésion et de ne pas céder aux manœuvres divisionnistes et aux discours de haine et d’aversion ethnique du pouvoir et de ses acolytes.

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